Jilbana…

Une gousse qui enfante des petits pois. Ils se prélassent dans une gaine verte, ouverte en cicatrice par deux pouces bien décidés… qui se frayent un chemin à travers une couture naturelle, hermétique. La gousse est un mentor…. Qui plante de tout, dans des prés en jachère... loin de toute civilisation, en rase campagne. Il plante, il arrose, et puis laisse la nature cueillir et ouvrir ce qui tombe d'épuisement et de ravissement. Le petit pois tel un neurone, tente de se multiplier en se laissant germer… par des pluies qui viennent d’ailleurs. A maturité, il tombe sur un sol qui finit par le recouvrir d’une poussière d’ors que le vent souffle à déraison, dans des saccades raffinées, parfois douces, parfois violentes.

Jilbana… Une philosophie de vie. Elle enfante, se multiplie dans des rondeurs sociales merveilleuses. Des cercles de vies impeccables, sans protubérances, sans difformités. Etant jeune, je les mâchais en les croquant. Un fluide de fraicheur crue remplissait mon palais. Des saveurs divines, précoces qui vivaient d’envies d’essayer une primeur avant toute gastronomie. Les gousses pendent en attendant d’être cueillies afin qu’elles puissent être plantées ailleurs.

Jilbana… Une plante exponentielle. Qui vit de nos émotions, de nos transmissions. Elle vit en chacun de nous...

Nharkom Jilbana...

Chawki DACHRAOUI. 21/03/2025

Reflets…

Marcher sur la ville. Les étages de Bruxelles deviennent à portée. Les niveaux, les couleurs des édifices s’impriment sur une flaque d’eau à même le sol, les disjoints des pavés, ses interstices cimentés, confondent beauté et laideur en un tableau digne de grands peintres. L’oeil du photographe, acerbe, vole à la cité ses joyaux, mélange mirage et réalité que les pieds foulent allègrement. La flaque se défait, se déforme, l’espace d’un instant. Hésitante, l’image se remet de ses remous et s’imprime à nouveau sur le sol inégal. Comme si la ville nous évitait de lever les yeux. Comme si elle venait à nous. Comme si elle se mettait à nos pieds, pour nous forcer à l’admirer.

Crédit photo Sarah DACH Photography

Fleur blanche.

Dans ma demande de t’aimer il existe une courtoisie et un désir si doux que tu te demanderas si tu as rêvé mes effleurements. Je les mettrais sur tes éraflures en compresses, étalées sur tes tremblements de vies, ces accidents qui vivent de nos chagrins, de nos déceptions, de nos désespoirs, de nos autoroutes. Je tendrais ma main vers ton visage, pour la retirer aussitôt, dans une gêne que je devine et qui est mienne. Je glisserai ma tête dans ton cou, en écartant tes cheveux, afin de sentir intensément à travers ce rideau ton parfum que je ne peux ignorer. « Fleur blanche », cette senteur indéfinissable qui me transporte ailleurs à chaque inhalation. Comment l'oublier ? Je voyage en te humant, en te respirant. Tu es partie, ailleurs... Dans une autre vie, loin de mes incursions platoniques, loin de mes silences, loin de mes brusqueries gauches, que tu ne pouvais supporter...

J’ai fini par acheter ce parfum, fleur blanche...

Parfois je dévisse le bouchon du flacon. Ivre, je le porte à mon nez. Je sens ta présence familière dans tes nuages... Un bout de toi. Que je remplis de mes restes !

Chawki DACHRAOUI – 3 février 2025

Les étoiles filantes.

Morphée est parti. Le sommeil m’a quitté brusquement vers trois heures du matin. Impossible de dormir. Je me suis dirigé vers le patio central, toute lumière éteinte en tâtonnant afin de préserver les dormeurs du houch. J’ai levé les yeux… La grande ourse était bien dessinée, je pouvais voir cette casserole brillante. Elle scintillait de ses sept points lumineux que je reliais mentalement dans des lignes droites en veillant à la laisser sans couvercle. Au loin, j’entendais un coq insomniaque qui donnait de la voix qui vibrait, incertaine, imparfaite. Un autre lui répondait de loin. Ils se hélaient. Je devinais leurs rires. Le chien des voisins régulait ce concert en aboyant. D’autres lui répondaient… Des chats se chamaillaient en se miaulant dessus. Une cacophonie parfaite qui partait dans tous les sens, perturbée par quelques oiseaux siffleurs de retour de guindaille. J’écoutais ces bruits qui se superposaient. J’ai appris à déceler les retardataires, les tire au flancs qui se taisaient sans raison. J’avais besoin de renforcer cette paix, de la sentir vibrer à l’unisson dans une symbiose qui allait augmenter cette intensité intérieure que je ne pouvais retrouver qu’en Tunisie. Les étoiles filaient de partout... J'avais épuisé tous mes vœux. J’avais une envie irrésistible d’écouter du Coran. N’importe quelle sourate ferait l’affaire. Qu’importait le récitateur… Était-ce une insomnie ? Ou bien était-ce une invite de célébration céleste ? Je me suis senti vivre comme jamais. Je n’avais plus sommeil. Tout se mettait en place. J’étais vivant parmi les autres créatures.

Et c’est ainsi que j’ai pu faire toutes les prières de ma vie, en une seule nuit, sans prononcer un mot,... en silence.

Chawki DACHRAOUI - 14 Août 2023

Les virages.

Pierre avait habité en Tunisie jusqu’en 1956. Forcé, il avait quitté la belle demeure coloniale qui se trouvait à Sidi Thabet.

Il avait chargé sa mémoire de ce frêle palmier qu’il arrosait tous les jours. Sa mémoire d’enfant ne pouvait retenir que l’essentiel, l’immédiat : le palmier allait mourir faute d’eau ! Qui allait s’en occuper ?

Une question qui n’arrêtait pas de gamberger dans sa tête d’enfant.

Et puis, le temps était passé, trop rapidement d’ailleurs. La vie en France était ce qu'elle était...

Le palmier de Pierre naviguait entre deux oublis. Il apparaissait et disparaissait dans des émotions fugitives.

Pierre avait vu ses parents s’éteindre dans la douceur d’une France qui ne pouvait remplacer la beauté de Sidi Thabet.

A l’âge de 85 ans, pris de cette envie d’aller droit à l’essentiel, Pierre avait décidé de revenir vivre en Tunisie.

Il loua un appartement à Tunis, trouva une bonne et un petit chat errant qu’il adopta aussitôt.

Le félin, devenu son binôme, était une autre droite parallèle à la sienne.

Lui qui s’installait dans ce qui lui restait de vie ….Et celle de ce matou, qu’il avait extrait de la violence de la rue.

Deux parcours qui allaient changer de caps, ensemble. Le réconfort, le courage, pouvaient tout aussi bien provenir d’un animal. La réunion de deux solitudes en quelque sorte.

Après quelques mois, Pierre enfin installé dans son appartement, décida de rendre visite à la maison de Sidi Thabet, afin d'affronter ce passé douloureux, intact dans sa mémoire.

Il avait assez reculé cette confrontation.

Il prit son courage à deux mains, caressa la tête du chat devenu domestique et fila prendre les 3 bus nécessaires afin de se rendre à Sidi Thabet.

Il était 11h00, quant il arriva sur place.

La maison était devenue la résidence secondaire d’un couple nanti, qui refusait au domaine toute restauration ou rénovation. La bâtisse tombait en ruine.

Il rencontra sur place Mohamed, l’homme à tout faire qui était en train de scier le palmier de Pierre, devenu gigantesque.

Interloqué, blessé, Pierre s’approcha de Mohamed et l’apostropha :

- Mais pourquoi tu coupes ce palmier ? C’est moi, qui l’avait planté, arrosé, soigné !

- Qui êtes-vous Monsieur ?

- Je m’appelle Pierre … J’avais habité cette maison jusqu’en 1956 ! Mais j’ai du quitter la Tunisie avec mes parents… On avait été mis dehors juste après l’indépendance…

- Voyez-vous M. Pierre, mes patrons m’ont demandés de couper ce palmier. Je leur ai conseillé de ne pas le faire.

Ils m’ont dit « soit tu le coupes, soit tu es viré » !

Alors, je coupe…Je ne veux pas être viré, comme vous !

Moralité de cette histoire vraie :

Nous vivons des histoires parallèles, des droites qui ne se touchent pas, qui ne sont pas sensées se croiser. Et puis les soubresauts, les tremblements des vies créaient ces intersections volontaires, involontaires.

Les décharges reçues, remettent les droites sur leurs rails…

Le bruit de la scie traversant le tronc imposant du palmier a poussé Pierre à quitter la Tunisie.

Epuisé, il est allé s'éteindre ailleurs...

"Quand on blesse" les palmiers, "on blesse aussi les hommes"...

...Que va devenir le chat ?

Chawki Dachraoui (Merci à Si Dhafer DJELLOULI)

06 Mai 2019.

Dachret Nebeur.

Vers 11h, j’accompagnais mon oncle Si Mohamed LAKDHER sur sa moissonneuse batteuse en train de rafler un blé doré, en face du Bordj. Les épis - arrivés à maturation - s’ouvraient en fleurs odorantes et tenaces, tant les germes excédés avaient muris.

Les sacs de blé étaient ensuite, amassés en forteresse contre le mur porteur de la façade principale du Bordj.

Chaque famille avait droit à son lot, qu’elle gardait ou monnayait contre espèces sonnantes et trébuchantes afin de pourvoir à des besoins que l’autarcie ne pouvait satisfaire.

C’était l’été. Celui des chaleurs dont on ne souciait guère.

Les femmes assises en rond, disposaient de larges « liène » bien coincés entre leurs jambes. D’une main ferme, elles tenaient un « Ghorbal », une sorte de tamis dont les écarts étaient choisis en fonction du produit fini.

Le tamis le plus fin servait à la production artisanale du couscous.

Je restais en admiration devant cette boule de pâte informe, difforme, qui pressée contre les mailles du tamis, distillait une multitude de petites graines qui tombaient sur un drap blanc.

C’était ainsi que naissait la « Mhamssa », ces grosses boules de dix fois la taille d’une graine de couscous, parfaitement rondes.

Elles faisaient nos délicieuses soupes à l’approche du froid de l’hiver.

Certaines boules de pâtes grossières étaient ensuite effilées tout en finesse, en ligne droite que tenait fermement le pouce et l’index. D’un geste sec, la pâte était coupée à intervalles réguliers. Ainsi naissait les « hlelem » qui servaient également à ces petits bonheurs d’hiver.

Par la suite, les draps gorgés de couscous, de hlalem, de Mhamssa étaient charriés péniblement (en l’absence d’échelle) sur le toit du Bordj.

J’avais pour mission d’étendre ces perles disparates sur la totalité de la surface des draps afin que le soleil puisse réchauffer chaque pépite, la raffermir en vue de son stockage.

Une mission que je prenais très au sérieux du haut de mes 10 ans. C’était le temps béni de la « Oula ». On fabriquait des pâtes maisons, le temps d’un été, pour toute une année, pour toute une famille.

Comblés, harassés, nous dormions les cinq sens rassasiés.

Nos réveils se faisaient en tiroirs. A chacun son rythme.

Nous sortions de notre torpeur alléchés par les odeurs du « Khobz Mlawi « .

Trois grosses pierres étaient disposées en triangle, protégeaient des branchages qui crépitaient au fur et à mesure qu’on les rapprochait du centre du triangle.

Un large « tajine » en terre cuite, huilé, recevait ce pain plié à force d’huile d'olive, pétri par une autre huile, celle de bras vigoureux.

Agglutinés autour de ce four en plein air, nous attendions…

Plus besoin de fourchette ou de couteaux. Plus besoin d’être attablés. Notre salle à manger était libre de toute entrave. Ce pain - enfin offert - se déchirait à la main en parties inégales, au bonheur la chance de chacun de mes frères et soeur.

C’était un sentiment de liberté totale, fait de simplicité.

Les coeurs étaient gros, les regards bienveillants.

Des vacances que je ne pourrais jamais oublier.

A suivre…

DACHRAOUI Chawki. 26/06/2019.

Michele Maugan a écrit : "Je lis et les larmes montent aux yeux , je revois ma grand mère faire les hlélems , elle gardait l'ongle de son pouce suffisamment long afin d'exécuter ce geste rapide , , je la revoie assise sur le pas de sa porte , un grand torchon blanc , probablement issu d'un drap usé déployé sur son ample jupe noire , , je m’asseyais à ses pieds , j'avais un tout petit banc et elle me racontais des histoires .Je n'avais pas encore dix ans , puisqu'elle s'en est allée rejoindre les étoiles cette année là.....Merci , grâce à vous les anciens reprennent vie dans nos têtes et dans nos cœurs"

"Merci , nous étions si proches les uns des autres que nous avions les mêmes usages et nous avons gardé tellement de souvenirs communs . En parlant des moissons voici une photo de mon grand père , dans les années 55 à 60 il faisait les moissons dans la région de Mateur avec ce camion , un Lancia , il restait toute la saison dans les campagnes et nous allions le voir pour lui apporter du linge propre toutes les fin de semaines . Parfois j'avais du mal à le reconnaître tellement il avait de poussière sur le visage , la sueur faisait des rigoles le long de ses joues .Il n'y avait pas d'engins pour monter les sacs de blés sur le camion , c'était pépé et Ali qui s'en chargeaient , un sac sur l'épaule et un bastaing pour grimper."

Salma BN Amor a écrit : "Je suis restée bouche bée en lisant ton merveilleux récit qui m'a replongé dans ma tendre enfance avec toute l atmosphère du bon vieux temps où la famille n'était pas un vain mot ...

Ta description m'a fait rêver un bon moment car tu as si bien réussi à me transporter vers un autre temps chargé de palpitantes sensations, et de douces émotions et aussi de fines odeurs de Hlelem spéciale dont seule nos mères et nos grands-mères detenait le secret de cette recette qui me fait saliver rien qu en y pensant !

Nostalgie quand tu nous tiens!

Merci pour cette bonne odeur de cuisine de ton enfance que j'ai senti à travers tes écrits ! Bravo Si Chawki Dachraoui pour cette narration digne des grands écrivains... Nostalgie quand tu nous tiens! Merci pour cette bonne odeur de cuisine de ton enfance que j'ai senti à travers tes écrits !

j'ai passé la moitié de mon enfance chez ma grand mère maternelle paix à son âme et l'odeur de son café au lait du matin et ses Mléwi et khobz Tabouna préparées à son réveil de la prière du fejr me chatouille encore les narines..elle me réveillait chaque matin pour aller ramasser les oeufs dans une basse cour qu'elle avait au fond de son grand jardin où je me faisait le plaisir de jouer avec son chat et de cueillir les fruits de ses arbres..tout était naturel, bio et succulent..l'insouciance et la joie de vivre étaient notre monnaie unique...

la nostalgie va avoir raison de moi."

Hanen Rezgui a écrit :

اما انا ساعبر عما بعثت في نفسي كلماتك من رجوع إلى ماض عايشته وترعرعت فيه وأخذت منه معنى الأمل وروح الإنتماء والتجذر.

ربي يرحمك سيدي محمد الأخضر ويرحم كل دشراوي جمعته بناسه اللحمة والرحمة والمودة .

العولة سلف ودين واللمة كل يوم في حوش عربي داير بمحابس النوار والغرابل تتنقل من مرا لمرا اللي تكسكس واللي تزلق وتنحي الفرخ والأخرى تنشر على الملاحف والتاي يركرك على الكانون والفطور يطيب على نار هادية ...

رجعتني للطاجين والخبز بالشحم والميدة العربي والحصيرة المفروشة في وسط الدار والبركة محلاها كيف ناكلو وما ننساوش جيرانا...

رجعتني لزمن الخير وقوة التدبير لنساء الدشرة والخابية المرصوصة بالكسكسي والأخرى محمصة والثالثة زيت زيتونة والرابعة طماطم شريحة والقديد وديما الحمدلله على الستر .

دغدغت في كل الأحاسيس والمشاعر لماضي حافل بالزيارات بين الأقارب ولمة الحراير في السراء والذراء .

رجعتني للمنسج والسداية وامي الي تعطينا من غير حساب .

دشرتنا الغالية علمتنا الوفاء وعشق الحياة بكرامة وعزة نفس وشموخ .

نحن تربينا بالحلالم والمحمص والكسكسي والملاوي واللبلابي والحمدلله شقينا طريقنا ونجحنا في تربية أولادنا على الكروفات والكافيار اما بنفس المبادئ والقيم اللي ورثناها على أجدادنا.

شكرا ثم شكرا ثم شكرا Chawki Dachraoui فقدت أبدعت وتالقت ونجحت في لم شمل العديد منا لنعيد لدشرتنا اعتبارها ونعرف الناس بتاريخها وفضلها في حسن اعدادنا .

gray computer monitor

Racontez-nous vos histoires...

Partagez vos expériences et contribuez à notre musée virtuel.

Musée virtuel

O B L I T A R I U M

Découvrez un espace qui célèbre le vivre ensemble, où chaque individu partage son histoire et ses émotions pour construire une nation d'harmonie.

Emplacement

Sur le web

Heures

24/7 accès